Nicolas Chapelle, À Louer, 2021, peinture acrylique et bombe, plexiglas 10  mm, 180 × 96 cm. Production : L’Assaut de la menuiserie © Cyrille Cauvet

Nicolas CHAPELLE
From SD to SE

Commissariat
Vincent Gobber
Exposition du 29 octobre au 27 novembre 2021
Avec la participation de Radina Stoïmenova

« Maintenant, les sirènes disposent d’une arme plus fatale encore que leur chant, leur silence. Et bien qu’on imagine mal une telle chose, quelqu’un a peut-être rompu le charme de leurs voix ; mais celui de leur silence, jamais. » — Franz Kafka

La rencontre fortuite entre Saint-Étienne et une ville californienne de la côte Pacifique peut sembler a priori un geste ironique. Nous reconnaissons ça et là des lieux que nous avons arpentés, que nous aurions pu apercevoir, des lieux et des architectures logés dans notre mémoire collective. Néanmoins, parmi ces façades contrastées, ces palmeraies, ces couleurs vives, ces ciels, nous devons nous le dire : la position de recul ne tient plus, nous sommes amusés certes, mais en réalité nous sommes séduits.

Nicolas Chapelle, Eni Café Shop, 2021, peinture acrylique et bombe, pastel, Chatterton, ruban de masquage, tissu orange, 150 × 100 cm. Production : L’Assaut de la menuiserie.

Nicolas Chapelle assume en effet la séduction du monde, mais, dans un même mouvement, nous la livre sur bâche, toiles distendues, plexiglas. Toute image ici est friable et fragile. Ainsi semble se poser la question de notre jouissance du monde : certes, la séduction existe, mais en saisir, ne serait-ce que l’image, est une opération délicate et périlleuse qui en altère la solidité.

Cette déambulation urbaine est donc à la fois une occasion de ravissement – car nous aimons profondément la ville vouée à la plaisance – et d’interrogation quant à notre régime d’appropriation de notre expérience du monde : sommes-nous propriétaires ou locataires de cette expérience ?

Il semble bien que cette mélancolie traverse ces « grandes images » (ainsi Aragon nommait les dernières peintures de Matisse), une mélancolie qui procède de ce retrait de la possession de notre expérience. Celle-ci est friable : les matières superposées, juxtaposées, précaires, numériques… Tout cela dit la terrible humilité nécessaire à l’artiste qui veut encore nous parler du monde, alors que l’expérience de ce même monde nous échappe, alors que nous savons n’en être que locataires, de passage, usagers de service de navigation virtuelle (Google Street View, Mappy, etc.)

Il y a cette tension entre le plaisir de paysages iconiques (à la fois lointains et familiers, d’ici et d’ailleurs) et l’expérience fragile que nous en avons. Une tension entre le calme de ces rues désertes et le tumulte de couleurs et de matières : nous contemplons ce silence, qui est aussi une lutte ; ces sirènes de Kafka dont le chant se retire.

Texte de l'exposition de Nicolas Chapelle From SD to SE, à L’Assaut de la menuiserie du 29 octobre au 27 novembre 2021

« Now sirens have an even more lethal weapon than their song, their silence. And though it’s hard to imagine such a thing, someone may have broken the spell of their voices; but never that of their silence. » – Franz Kafka

The chance encounter between Saint-Étienne and a Californian town on the Pacific coast may at first seem an ironic gesture. Here and there, we recognize places we’ve walked, places we might have glimpsed, places and architectures lodged in our collective memory. Nevertheless, amidst these contrasting facades, palm groves, bright colors and skies, we have to say to ourselves: the position of retreat no longer holds; we may be amused, but in reality we’re seduced.

Nicolas Chapelle, Eni Café Shop, 2021, acrylic and spray paint, pastel, Chatterton, masking tape, orange fabric, 150 × 100 cm. Production: L’Assaut de la menuiserie.

Nicolas Chapelle assumes the seduction of the world, but at the same time delivers it to us on tarpaulin, stretched canvas and Plexiglas. Every image here is brittle and fragile. This seems to raise the question of our enjoyment of the world: seduction certainly exists, but grasping it, even if only as an image, is a delicate and perilous operation that alters its solidity.

This urban wandering, then, is both an occasion for delight – for we deeply love the city devoted to pleasure – and for questioning how we appropriate our experience of the world: are we the owners or the tenants of this experience?

It seems that a melancholy runs through these « great images » (as Aragon called Matisse’s last paintings), a melancholy that stems from our withdrawal from possession of our experience. This experience is crumbly: the materials are superimposed, juxtaposed, precarious, digital… All this speaks to the terrible humility required of the artist who still wants to speak to us about the world, when the experience of this same world escapes us, when we know that we are merely tenants, passing through, users of virtual navigation services (Google Street View, Mappy, etc.).

There’s this tension between the pleasure of iconic landscapes (both distant and familiar, from here and elsewhere) and the fragile experience we have of them. A tension between the calm of these deserted streets and the tumult of colors and materials: we contemplate this silence, which is also a struggle; Kafka’s sirens whose song withdraws.

Text from Nicolas Chapelle's exhibition From SD to SE, at L'Assaut de la menuiserie from October 29 to November 27, 2021
Document à télécharger
Feuille de salle
Lien
instagram.com/chapelle.nicolas