Commissariat Vincent Gobber
Exposition du 15 septembre au 13 octobre 2018 L’exposition Des infra-basses et des oiseaux présente les peintures de Camille Beauplan suite à une résidence à L’Assaut de la menuiserie. Accueillie en résidence de production du 31 juillet au 14 septembre 2018, l'artiste s’est attachée à peindre ses points de vue de la ville de Saint-Étienne.
« Is it future or is it past ? »
David Lynch
Comment supporter le désespoir de notre vie quotidienne morne et aliénée ? La réponse traditionnelle à cette question a longtemps demeuré : le fantasme. Cependant, on s’est chargé de fantasmer à notre place. Un certain projet moderne entendait réenchanter nos vies, replacer l’art dans la vie, nous esthétiser, ou encore peindre en mille couleurs l’air du vent. Il s’est agi de couvrir les grands ensembles en jaune ou en saumon, d’agrémenter nos flâneries de mobiliers urbains artistiques ou design, d’ériger des trous de verdure (naturels ou non) ou même – pourquoi pas – des menhirs. En somme, ces efforts bien intentionnés pour nous offrir un support fantasmatique nous font vivre dans le rêve d’un autre, ce qui est – comme l’a dit Deleuze – la définition même du cauchemar.
C’est ce cauchemar qui intéresse Camille Beauplan. Ses tableaux sont des pièges qui saisissent cette réalité grimaçante et ridicule. Cette capture est un moment de désillusion, de dessillement : notre réalité, c’est la juxtaposition des fragments de grisaille et des fragments de fantasmes assemblés sur un même plan. Ainsi, la lumineuse et onirique Maison de l’Emploi côtoie le néon du guichet automatique bancaire. C’est le constat d’un échec – non pas celui de notre fameuse « incapacité à réenchanter le monde », mais au contraire, celui de notre acharnement à le réenchanter. Vouloir réenchanter le monde c’est, quoi qu’on fasse, le rendre plus lugubre qu’il ne l’est. Nous devons bien l’admettre : nous ne sommes plus convaincus par le monde. Et il nous faut faire avec.
La peinture de cette mélancolie urbaine ne se limite pas à un geste critique. L’effet de grotesque, de sublime ridicule, cette juxtaposition de rêve et de trivialité – tout cela procède d’une sensibilité romantique et mobilise la figure romantique du lieu hanté. La version contemporaine de cette figure se nomme la zone. Figure omniprésente et ici, par exemple, mise en abîme : dans cette zone qu’est le Musée d’art moderne, s’inscrit la photographie restituée d’immeubles en ruine dominés par une grue. Le lieu privilégié de l’art est la zone. Et Saint- Étienne, forcément. À la faveur des fantaisies hasardeuses et des modes surannées, de tableaux en tableaux, nous pouvons discerner des lignes harmonieuses, des couleurs qui se répondent, des structures puissantes : au delà de la bizarrerie sans éclat de notre quotidien, il existe, dans le regard de Camille Beauplan, des formes étrangement convaincantes, et que nous ne voyions plus.
Frédéric Montfort, 2018
Découvrez l'article de Niko Rodamel sur le site du Petit Bulletin Saint-Étienne.
camillebeauplan.com
The exhibition Des infra-basses et des oiseaux presents the paintings of Camille Beauplan following a residency at L'Assaut de la menuiserie. Hosted in a production residency from July 31 to September 14, 2018, the artist focused on painting her views of the city of Saint-Étienne.
Is it future or is it past?
David Lynch
How can we bear the despair of our dreary and alienated daily life? The traditional answer to this question has long remained fantasy. However, we have been charged with fantasizing for us. A certain modern project intended to re-enchant our lives, put art back into life, aestheticize us, or paint in a thousand colors the air of the wind. It was about covering the large ensembles in yellow or salmon, embellishing our strolls with artistic or design urban furniture, erecting green holes (natural or not) or even – why not – menhirs. In short, these well-intentioned efforts to offer us fantastical support make us live in the dream of another, which is – as Deleuze said – the very definition of the nightmare.
Camille Beauplan is interested in this nightmare. Her paintings are traps that capture this grimacing and ridiculous reality. This capture is a moment of disillusionment, of drawing: our reality is the juxtaposition of fragments of greyness and fragments of fantasies assembled on the same plane. Thus, the bright and dreamlike Maison de l’Emploi stands alongside the neon of the ATM. It is the observation of a failure – not that of our famous «inability to re-enchant the world», but on the contrary, that of our determination to re-enchant it. Wanting to re-enchant the world is, whatever we do, making it more gloomy than it is. We have to admit it: we are no longer convinced by the world. And we have to deal with it.
The painting of this urban melancholy is not limited to a critical gesture. The effect of grotesque, sublime ridicule, this juxtaposition of dream and triviality – all this proceeds from a romantic sensibility and mobilizes the romantic figure of the haunted place. The contemporary version of this figure is called the zone. Omnipresent figure and here, for example, put in abyss: in this area that is the Museum of Modern Art, there is the restored photograph of ruined buildings dominated by a crane. The privileged place of art is the area. And Saint-Étienne, necessarily. Thanks to random fantasies and outdated fashions, paintings in paintings, we can discern harmonious lines, colors that respond, powerful structures: beyond the unremarkable oddity of our daily lives, In Camille Beauplan’s eyes, there are strangely convincing forms that we no longer see.
Frédéric Montfort, 2018
