du 30 avril au 28 mai 2016
Du 30 avril au 28 mai 2016, l’Assaut de la menuiserie a accueilli l’exposition Double porte de l’artiste Élise Cam. Pendant sa résidence de production, l’artiste a créé un ensemble de dessins et de sculptures en verre. Les visiteurs ont découvert des œuvres spécialement créées pour l’exposition : les sculptures Double porte (pastels et pigments sur papier contrecollé sur contreplaqué), Littoral et Estran (plaques de verre sur aluminium), ainsi que des dessins sur papier des séries Et Encore et Devant le rideau. L’exposition présentait également une série inédite de sculptures en porcelaine intitulée Peut-être.
« Autant de songes, autant de vanités ; trop de paroles, poursuite du vent. » — Écclésiaste 5:6
Comment s’affranchir du discours ?
Comment raconter ce qui se dérobe au récit ?
C’est évidemment un paradoxe que de vouloir saisir par le langage des objets qui s’y refusent.
Il faut nous remettre au jeu des séries et mesurer l’intervalle fragile entre deux portes, entre différence et répétition. D’une porte à l’autre, il nous faut accepter l’idée de ne rien franchir et de ne s’accaparer aucun sens.
Dans la translucidité et la superposition du verre, nous avons à laisser flotter, à laisser venir : inutile de vouloir forcer les vagues à avancer ou se retirer de la terre ; inutile de chercher une frontière, un partage des eaux.
Le chemin qui mène à la connaissance des formes créées par Élise Cam est une piste non encore tracée. Ces volumes et ces lignes requièrent un certain stoïcisme, une forme de recueillement. Ici, une austérité renseignée, une folie renseignée semblent circuler dans ces espaces indécis, entre ces espaces et nous.
Ici ce qui s’efface apparaît.
D’où ça se repère, un désir étoilé
Élise Cam, 2016
Comment imposer du vide à la forme ?
Par le dessin, j’arpente l’espace vide que le tracé laisse de côté. Il s’agit de trouver les gestes les plus précis et les plus directs à tracer une forme première, le cerne qui délimite le vide. En cherchant le plus petit déterminant, il s’agit de faire sentir un point d’achoppement dans l’espace. Qu’il soit une ligne d’horizon ou une balise dans l’espace, le dessin ou le volume n’est jamais le résultat conceptuel d’une perspective mentale à chercher. Que ces gestes minimaux soient en lien étroit avec celui qui les rencontre, dans un rapport matériel et empathique, est la condition pour éprouver le vide que les formes cernent.
Je tente par le dessin et par des volumes à border ce qui n’est pas la surface. Je dessine le littoral sur lequel nous arpentons la vacance de l’horizon, dans une perspective non géométrale mais subjective. Je trace certaines limites pour l’espace projectif, en cherchant une moindre direction. Je dessine dans la distance entre le regardeur et l’horizon possible, après la surface.
Les gestes se veulent minimaux, pour ce qui pourrait être une ligne de partage de la surface-plan, proche de la recherche du vide médian qui sépare le plein-haut-montagne du plein-bas-rivière dans la peinture chinoise traditionnelle.
La forme s’oriente de l’ornemental. J’orne le vide. Le motif décoratif répétitif nous pousse au-dehors du plan, parce qu’il est anhistorique, il ne donne aucune prise au récit biographique par lequel nous cherchons à expliquer notre rapport au monde. Je ne cherche pas à créer des formes minimalistes, dans le sens que Donald Judd accordait au terme de « specific object » qui exclurait toute projection sensible, mais au contraire, j’amène le spectateur à aborder par le littoral la ligne d’horizon que je lui présente, comme une invitation à inventer un récit : que le vide cerné soit l’occasion d’un espace projectif pour continuer à voir au-delà de la matérialité du monde. Le cerne, la balise sont là pour donner le point d’ancrage au regard.
La fragilité est nécessaire au rapport esthétique du regard. Je tiens à ce que les formes « rougissent » telles une marque, qu’elles entrent en sympathie avec le spectateur (le théoricien Ralph Ubl emploie ce terme benjaminien pour distinguer ce qui sort de derrière la surface peinte quand le regard se fait révélateur du tableau, du plan cartographique qui indique par le signe notre lien concret au monde).
Les gestes sensibles doivent contenir une part fantomatique, dirigés au dehors de la surface. Les techniques que j’utilise répondent à cette fragilité. Pour ouvrir le regard, je ne dois pas concentrer les formes, elles doivent se diffracter, leur caractère doit laisser les perspectives ouvertes.
Avec le soutien de l'ENSBA de Lyon, de la Drac Île-de-France – Aide à la création 2015 et de la Vitrerie Stéphanoise.
cam.elise.free.fr
From 30 April to 28 May 2016, L’Assaut de la menuiserie hosted the exhibition Double Door by artist Élise Cam. During her production residency, the artist created a series of drawings and glass sculptures. Visitors discovered works specially created for the exhibition: the sculptures “Double porte” (pastels and pigments on paper laminated on plywood), “Littoral et Estran” (glass plates on aluminium), as well as drawings on paper from the “Et Encore” and “Devant le rideau” series. The exhibition also featured a new series of porcelain sculptures entitled “Peut-être”.
« So many dreams, so many vanities; too many words, chasing after wind. » – Ecclesiastes 5:6
How can we free ourselves from speech?
How do you tell the story of something that cannot be told?
It is obviously a paradox to try to use language to grasp objects that refuse to do so.
We need to return to the game of series and measure the fragile interval between two doors, between difference and repetition. From one door to the next, we must accept the idea of not passing through anything and of not appropriating any meaning.
In the translucence and superimposition of glass, we have to let it float, let it come: there’s no point in trying to force the waves to move forward or withdraw from the land; there’s no point in looking for a frontier, a watershed.
The path that leads to an understanding of the forms created by Élise Cam is one that has not yet been mapped out. These volumes and lines require a certain stoicism, a form of contemplation. Here, an informed austerity, an informed madness seems to circulate in these undecided spaces, between these spaces and us.
Here that which fades appears.
From where you can see, a starry desire
Élise Cam, 2016
How do you impose emptiness on form?
Through drawing, I explore the empty space that drawing leaves out. It’s a question of finding the most precise and direct gestures to trace a primary form, the outline that delimits the void. By looking for the smallest determinant, the aim is to make us feel a stumbling block in the space. Whether it is a horizon line or a beacon in space, the drawing or volume is never the conceptual result of a mental perspective to be sought. That these minimal gestures are in close contact with the person who encounters them, in a material and empathetic relationship, is the condition for experiencing the emptiness that the forms encircle.
Through drawing and volumes, I try to outline what is not the surface. I draw the littoral on which we survey the emptiness of the horizon, in a subjective rather than geometrical perspective. I draw certain limits for projective space, seeking a lesser direction. I draw in the distance between the viewer and the possible horizon, beyond the surface.
The gestures are intended to be minimal, for what could be a dividing line between surface and plane, close to the search for the median void that separates the full-top-mountain from the full-bottom-river in traditional Chinese painting.
The form moves away from the ornamental. I decorate the void. The repetitive decorative motif pushes us out of the picture, because it is anhistorical, it doesn’t give us any grip on the biographical narrative through which we seek to explain our relationship with the world. I’m not trying to create minimalist forms, in the sense that Donald Judd gave to the term ‘specific object’, which would exclude any sensitive projection. On the contrary, I’m inviting the viewer to approach the horizon line I’m presenting him with from the shore, as an invitation to invent a narrative: let the circled void be the opportunity for a projective space to continue to see beyond the materiality of the world. The outline and the beacon are there to anchor the gaze.
Fragility is necessary to the aesthetic relationship of the gaze. I want the forms to ‘blush’ like a mark, to enter into sympathy with the viewer (the theoretician Ralph Ubl uses this Benjaminian term to distinguish what emerges from behind the painted surface when the eye becomes the revealer of the painting, the cartographic plan that indicates through the sign our concrete link to the world).
Sensitive gestures must contain a ghostly element, directed away from the surface. The techniques I use respond to this fragility. To open the viewer’s gaze, I mustn’t concentrate the forms, they must diffract, their character must leave perspectives open.
With the support of ENSBA Lyon, Drac Île-de-France - Aide à la création 2015 and Vitrerie Stéphanoise.
cam.elise.free.fr