Commissariat Vincent Gobber
Exposition du 5 novembre au 10 décembre 2016 Projet réalisé dans le cadre de Galeries Nomades / IAC Villeurbanne
Plusieurs événements et performances ont eu lieu dans le cadre de l’exposition Allez, on se tire !
18/11 à 19h – Performance : Le Cahier – Quentin MAUSSANG
30/11 à 19h – Conférence : Statut & Portefeuille – François MARCELLY
09/11 à 18h – lancement d’édition : Idoine – Sissy HANKSHAW
Allez, on se tire !
On est monté dans l’avion. Il était vide. Les rangées de sièges faisaient : quatre couloir quatre couloir quatre. Je me suis assis et j’ai commencé à marcher dans la forêt. Les volets des ailes ont fait ce bruit singulier. Sûrement pour vérifier une dernière fois que tout fonctionnait bien. Je me suis mis à courir. Je voyais le soleil à travers les pins. Il ne faisait pas encore chaud. J’ai entendu le bruit métallique des ceintures qu’on attache. J’ai vu Tyler dire « Une issue de secours à 9000 mètres d’altitude… L’illusion de la sécurité. » J’ai repensé aux enfants sur le manège à balançoires retenues par des chaînes qui expérimentaient l’effet centrifuge. Je me suis arrêté à l’orée et j’ai vu cette biche qui transpirait et qui me regardait. Je me suis recroquevillé en moi-même. J’ai vu des enfants jouer à chat entre les rangées. Je n’ai pas pris la main de celle qui regardait le même film que moi et j’en ai voulu à la Terre entière. Lorsqu’un des passagers a émis un son de détresse, j’ai pensé qu’il manquait de cran. J’ai pensé au vide qu’il y avait sous mes pieds. On était là. Des œufs dans une boîte en carton à 900 km/h. J’aurais voulu sentir le vent sur mon visage, ouvrir une vitre, fumer à la portière, apercevoir dans le rétroviseur tes larmes de froid. J’aurais voulu voir mes amis une dernière fois, leur dire à quel point ils me manquaient. J’aurais aimé m’arrêter dans une station d’autoroute. Les appeler un par un. Leur dire que rien n’est grave, qu’on est reliés comme des points. Qu’on est des étoiles qui fument comme des chevaux de course. J’étais seul au milieu de la route. La nuit me rappelait chacun d’entre vous. Elle chantait et dansait dans vos regards. En pensées avec la pointe du doigt je vous ai écrit dans le cou des choses importantes. Je préfère croire que personne ne me manque alors que c’est tout le contraire. Je vous réunis là dans mes pensées. Vous êtes tous là pour le moment et c’est la seule chose qui compte. Je me suis surpris à penser à haute voix : il y a des trésors partout.
Guillaume Dorvillé, 2016
L’homme cherche l’amour. Les espoirs de cette quête reposent sur la possibilité d’une rencontre. Et cette rencontre, pour être possible, exige un lieu. Vous voilà donc dans ce lieu, vous vous y êtes rendu à ce bien nommé rendez-vous. Vous êtes en avance, vous avez le temps de considérer l’espace : une lumière comme tamisée par de larges et robustes persiennes. Les portes et les fenêtres ménagent plusieurs possibilités : s’il vous en prenait l’envie, vous pourriez séquestrer l’autre et l’autre pourrait vous séquestrer. Vous pourriez aussi vous échapper et l’autre le pourrait aussi. Et si, comme dans un mauvais vaudeville, votre compagne officielle venait à vous surprendre en flagrant délit d’infidélité, vous pourriez, tel Robert Wyatt, passer par la fenêtre.
Un lieu, c’est bien, mais tout reste à faire : c’est le moment du scénario de la rencontre, séquence que la tradition galante fixa au XIIIe siècle avec la « Carte du Tendre ». C’est la séquence des péripéties propres à la quête amoureuse. La chasse au trésor peut commencer.
Vous n’avez pas franchi la première étape de cette quête que vous voilà confronté à un rebondissement de taille : on vous présente aux amis. Vous êtes un fin connaisseur, vous savez que ce moment, s’il se présente, est toujours critique. Vous devez vous familiariser aux habitudes des échanges, un certain vocabulaire, des allusions, un humour. Dans ce salon surprenant et improvisé vont et viennent les convives. Vous vous demandez un peu si ce rendez-vous ne tourne pas au fiasco. Alors, dans ce désarroi, une figure se détache.
Un des amis s’approche et engage avec vous une conversation. C’est alors un réquisitoire instruit contre l’institution archaïque du couple monogame et la promotion tout aussi renseignée des relations dites ouvertes, en dehors des sentiers battus et si contraignants de l’exclusivité conjugale. En un mot, il fournissait là une explication.
Vous comprenez alors que ce rendez-vous n’était pas un rendez-vous avec une seule personne. Que cette assemblée n’est pas constituée uniquement d’amis, mais que comme vous, ils sont conviés et déjà sans doute initiés aux pratiques galantes des amours souples et multiples (qu’en 2016 l’on nomme « polyamour »). Cette invitation est, vous le reconnaissez, troublante. Et vous reconsidérez la présence du pronom réfléchi dans le titre de l’exposition.
L’histoire ne dira pas encore si l’invitation a été ou non acceptée. Mais ces amours libres sont consignées ici, dans ce registre, souvenirs et récits. Tel un journal y sont archivées, racontées, commentées, annotées, repensées ces histoires multiples aux trajectoires et aux rencontres que seules guident l’occasion et l’opportunité de l’événement. Le trésor, tant désiré, n’est pas forcément celui que vous attendiez : l’art d’aimer, comme le savait Ovide, est l’art des métamorphoses.
Frédéric Montfort, 2016
L'édition numérique co-éditée par l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne et l'ADERA est consultable ici.
eleonorepanozavaroni.com
i-ac.eu/fr/galeries-nomades
A number of events and performances took place as part of the exhibition Allez, on se tire !
18/11 at 7pm – Performance: Le Cahier – Quentin MAUSSANG
30/11 at 7pm – Conference: Status & Portfolio – François MARCELLY
09/11 at 6pm – Publication launch: Idoine – Sissy HANKSHAW
Come on, let’s go!
We got on the plane. It was empty. The rows of seats made four aisle four aisle four. I sat down and started walking through the forest. The wing flaps made this peculiar noise. Probably to check one last time that everything was working properly. Then I started running. I could see the sun through the pines. It wasn’t hot yet. I heard the metallic sound of belts being fastened. I saw Tyler say, « An emergency exit at 9,000 meters… The illusion of safety. » I thought back to the children on the merry-go-round with swings held up by chains experimenting with the centrifugal effect. I stopped at the edge and saw this doe sweating and looking at me. I curled up inside myself. I saw children playing tag between the rows. I didn’t take the hand of the woman who was watching the same film as me, and I blamed the whole world. When one of the passengers let out a distress call, I thought he lacked guts. I thought of the void beneath my feet. There we were.
Eggs in a cardboard box at 900 km/h. I would have liked to feel the wind on my face, to open a window, to smoke in the car door, to see your cold tears in the rear-view mirror. I would have liked to see my friends one last time, to tell them how much I missed them. I would have liked to stop at a motorway station. To call them one by one. To tell them that nothing’s serious, that we’re connected like dots. That we’re stars that smoke like racehorses. I was alone in the middle of the road. The night reminded me of each and every one of you. It sang and danced in your eyes. In my thoughts, I wrote important things on your necks with the tip of my finger. I prefer to believe that I don’t miss anyone when it’s quite the opposite. I’m gathering you here in my thoughts. You’re all here for the moment and that’s the only thing that matters. I found myself thinking out loud: there are treasures everywhere.
Guillaume Dorvillé, 2016
Man is looking for love. The hopes of this quest rest on the possibility of an encounter. And this encounter, to be possible, requires a place. So here you are in this place, you’ve come to this aptly named rendezvous. You’re early, so you have time to take in the space: the light is subdued by wide, sturdy shutters. The doors and windows open several possibilities: if you felt like it, you could confine the other person and the other person could confine you. You could also escape, and the other person could do the same. And if, as in a bad vaudeville, your official companion were to catch you in the act of infidelity, you could, like Robert Wyatt, climb out of the window.
A place is all very well, but everything remains to be done: it’s the moment of the scenario of the encounter, a sequence that the gallant tradition fixed in the 13th century with the « Carte du Tendre ». This is the sequence of adventures typical of the quest for love. The treasure hunt can begin.
You haven’t even completed the first stage of this quest when you’re faced with a major twist: you’re being introduced to your friends. You’re a connoisseur, and you know that this moment, when it comes, is always critical. You need to familiarise yourself with the habits of the exchanges, a certain vocabulary, allusions and humour. The guests come and go in this surprising, improvised salon. You’re wondering whether this rendezvous is turning into a fiasco. Then, in the midst of all the confusion, a figure emerges.
One of your friends approaches you and strikes up a conversation. It’s an indictment of the archaic institution of the monogamous couple and the equally informed promotion of so-called open relationships, off the beaten track and so restrictive of marital exclusivity. In a word, he provided an explanation.
So you understand that this was not a meeting with just one person. That this gathering was not just made up of friends, but that like you, they had been invited and had no doubt already been initiated into the gallant practices of flexible and multiple love affairs (which in 2016 we call ‘polyamour’). You admit that this invitation is troubling. And you reconsider the presence of the reflexive pronoun in the title of the exhibition.
History will not yet tell whether or not the invitation was accepted. But these free loves are recorded here, in this register, memories and stories. Like a diary, they are archived, recounted, commented on, annotated and rethought in these multiple stories of trajectories and encounters guided only by the occasion and opportunity of the event. The longed-for treasure is not necessarily the one you were expecting: the art of love, as Ovid knew, is the art of metamorphosis.
Frédéric Montfort, 2016
The digital edition, co-published by the Institut d'art contemporain de Villeurbanne and ADERA, can be viewed here.
eleonorepanozavaroni.com
i-ac.eu/fr/galeries-nomades
Galeries Nomades est un dispositif régional d’accompagnement à la première exposition personnelle d’artistes formés dans les cinq écoles d’art d’Auvergne-Rhône-Alpes. Il est initié et porté par l’Institut d’art contemporain en partenariat avec des structures de création et de diffusion régionale, en collaboration avec l’Adéra. La Fondation Albert Gleizes accueille les artistes pour Résidences Galeries Nomades 2016 à Moly-Sabata. Galeries Nomades est particulièrement soutenu par la Région Auvergne-Rhône-Alpes.